Discussion entre le ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis, et le journaliste Matthew Boyle, au Forum de Doha (Doha, 06.12.2025)

Discussion entre le ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis, et le journaliste Matthew Boyle, au Forum de Doha (Doha, 06.12.2025)

JOURNALISTE : Je souhaite la bienvenue à M. Giorgos Gerapetritis. Merci beaucoup d'être là. Ce qui se passe ici est très important, et même le lieu est impressionnant. Nous remercions les organisateurs du Forum de Doha et le Qatar qui accueille cet événement exceptionnel. Je voudrais commencer par dire qu'au début de l'année, je me suis rendu en Grèce et j'ai discuté avec le Premier ministre K. Mitsotakis, immédiatement après le « Jour de la libération » et l'annonce des droits de douane par le président Trump. Le Premier ministre m'avait alors dit qu'il pensait que l'Union européenne et les États-Unis finiraient par conclure un accord commercial mutuellement avantageux. À cette époque, de nombreux dirigeants critiquaient le président Trump, et la situation concernant les droits de douane était encore incertaine. Mais le Premier ministre grec avait raison : l'UE et les États-Unis ont conclu un accord commercial mutuellement avantageux. Les deux parties sont satisfaites. En repensant à ces moments historiques, quelle est votre opinion sur les relations entre les États-Unis et l'UE et sur le rôle de la Grèce dans l'issue de cette affaire ?

G. GERAPETRITIS : Merci Matt. C'est un grand plaisir d'être ici à Doha, dans le cadre de cet événement exceptionnel. Je dois vous dire que le Premier ministre fait preuve d'une grande perspicacité. Il voit toujours les choses avec un regard très attentif et analytique. Il a très tôt reconnu le dynamisme que la nouvelle administration américaine apporterait tant en Europe qu'à l'échelle internationale. Il est vrai que sous la présidence de Donald Trump, un nouveau modèle de gouvernance a vu le jour. D'une certaine manière, cela a aidé l'Europe à réexaminer certaines questions fondamentales sur la manière de rendre l'Europe plus autonome, comment nous pouvons développer une politique économique plus intégrée et comment nous pouvons parvenir à un équilibre équitable dans nos relations avec les États-Unis. Et c'est là, en fin de compte, le « bénéfice mutuel » auquel vous avez fait référence.

Honnêtement, au cours des dix derniers mois, un changement de mentalité s'est opéré en Europe. La coopération avec l'OTAN est également d'une importance capitale. Tout d'abord, pour la première fois, il existe une conception entièrement nouvelle des capacités de défense de l'Europe. Nous avons développé deux programmes importants, ReArm Europe et SAFE, afin de renforcer nos capacités de défense pour prévenir toute menace éventuelle.

Et il est vrai qu'aujourd'hui, dans le domaine du commerce — car le commerce et la défense sont liés —, nous avons trouvé un mécanisme de coopération fonctionnel et mutuellement avantageux. Le Premier ministre grec est pleinement déterminé à renforcer davantage les relations entre l'UE et les États-Unis ainsi qu'entre les États-Unis et la Grèce, qui sont actuellement à leur plus haut niveau historique. Nous vivons des moments historiques et nous devons saluer les efforts déployés par la nouvelle administration américaine pour guider le monde vers un avenir plus pacifique et plus prospère.

JOURNALISTE : L'une des choses auxquelles le président Trump semble accorder une attention particulière est l'utilisation du commerce comme outil non seulement pour promouvoir les intérêts américains, mais aussi la civilisation occidentale elle-même. Je sais que la Grèce s'y intéresse beaucoup, j'ai d'ailleurs discuté de la question de l'IMEEC (le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe) avec le Premier ministre et le président Trump en mars à la Maison Blanche. Le président le soutient pleinement, estimant qu'il donne aux États-Unis un avantage sur la Chine. Nous avons déjà assisté à la première rencontre entre Trump et Xi en Asie et une visite du président Trump à Pékin est prévue dans le courant de l'année prochaine. De votre côté, et compte tenu du fait que nous sommes ici, au Moyen-Orient, que reste-t-il à faire pour que l'IMEEC devienne une réalité ?

G. GERAPETRITIS : Pour être honnête, le mot clé ici est la diversification. Ce que la guerre d’agression menée par la Russie contre l'Ukraine a démontré, c'est que toute forme de dépendance excessive est préjudiciable. Nous avons besoin de voies alternatives afin de garantir le bon fonctionnement du commerce, de l'économie, mais aussi la libre circulation des biens et des personnes.

Pour nous, l'IMEEC est un projet d'une importance capitale. Il ne s'agit pas seulement d'un corridor économique, mais aussi d'un corridor culturel et d'un corridor de libre circulation des personnes. Il envoie le message que nous devons tourner notre regard vers l'Orient. En ce qui concerne les pays du Golfe, et en particulier au Qatar, leur influence s'est accrue à l'échelle mondiale, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan géopolitique. Je pense que, dans la conjoncture actuelle, nous devons développer des corridors alternatifs. Nous reconnaissons l'importance de développer des alliances solides. La Grèce a toujours été un allié fidèle des États-Unis, mais aussi de tous les pays arabes, des États du Golfe et de l'Inde. Au cours des deux dernières années, nous avons effectué trois ou quatre visites officielles en Inde. Nos relations sont excellentes : nous développons nos échanges commerciaux, nous ouvrons de nouveaux consulats, nous avons une liaison aérienne directe entre Athènes et New Delhi et nous nous réjouissons de participer à cet immense projet qu'est l'IMEEC.

Pour nous, l'Inde est un partenaire particulièrement important, mais, en même temps, nous devons construire des ponts. Je pense que ce qui importe aujourd'hui, c'est d'essayer d'établir des ponts régionaux et internationaux. Le problème est qu'avec tant de conflits dans le monde, tant de divergences et de défis mondiaux, tels que l'insécurité alimentaire ou le changement climatique, ce dont nous avons besoin, ce sont des synergies. Et pour y parvenir, il faut un leadership fort et, surtout, des alliances solides.

JOURNALISTE : Nous voyons de nombreux accords commerciaux se conclure : États-Unis-UE, États-Unis-Japon, États-Unis-Vietnam — des accords qui représentent 85 % du PIB mondial. Cependant, l'accord entre les États-Unis et l'Inde continue de poser des difficultés. Il semble toutefois qu'il ne tardera pas à être conclu. Le président Trump a désormais nommé Sergio Gore ambassadeur des États-Unis en Inde, que je connais depuis des années au Sénat. Pensez-vous qu’une éventuelle conclusion d'un accord, si et lorsque celui-ci se concrétise, pourrait être utile ?

G. GERAPETRITIS : Avec une population de 1,5 milliard d'habitants, l'Inde est la plus grande démocratie du monde. Il s'agit d'un marché énorme, d'un État en pleine expansion en termes de marché et de commerce. Je considère qu'il est indispensable de conclure des accords avec l'Inde. La Grèce a déjà conclu une série d'accords commerciaux avec l'Inde et nous en préparons un nouveau sur la mobilité légale des travailleurs, afin que les travailleurs indiens puissent venir en Grèce, car nous sommes confrontés à une pénurie de main-d'œuvre.

En ce qui concerne les États-Unis, il est absolument essentiel d'entretenir des relations stables avec l'Inde. La nouvelle nomination de l'ambassadeur est déterminante et je me réjouis de collaborer avec lui. Je suis optimiste quant au fait que, dès qu'un accord entre les États-Unis et l'Inde sera conclu, il aura un impact positif important pour de nombreux pays, en particulier ceux du corridor IMEEC.

JOURNALISTE : Bien sûr, ici au Moyen-Orient, on s'intéresse beaucoup au nouvel accord sur Gaza, une autre initiative du président Trump. Il semble généralement déterminé à conclure des accords, commerciaux, de paix, etc. J'ai perdu le compte des accords de paix qu'il a conclus, peut-être une dizaine. Nous en avons discuté avec le vice-président il y a quelques semaines à Washington. Mais j'aimerais connaître votre opinion sur l'accord à Gaza et, plus généralement, sur les efforts de paix dans la région. Je voudrais également aborder la question des populations chrétiennes, à l'occasion de la présence du nouveau président syrien Al-Sharaa ici, au Forum de Doha. J'aimerais donc connaître votre opinion, étant donné que la Grèce est un pays chrétien qui est très près de la région.

G. GERAPETRITIS : Votre question montre à quel point tous ces défis sont liés : le Moyen-Orient, la Syrie, les populations chrétiennes, l'avenir de la région. Tout d'abord, nous devons reconnaître les efforts déployés par le président Trump pour apporter la paix au Moyen-Orient, comme il l'a fait dans le Caucase du Sud avec l'accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Pour nous, la paix et la prospérité dans cette région particulièrement instable sont vitales. En ce qui concerne le Moyen-Orient, nous avons besoin d'un processus équitable et équilibré qui mènera à la paix. Nous aspirons à ce qu’Israël vive en paix et en sécurité aux côtés des Palestiniens. C'est extrêmement important. La Grèce est un allié stratégique d'Israël. Nous avons une alliance stratégique unique avec Israël dans tous les domaines. Dans le même temps, la Grèce est l'un des rares États à entretenir des relations étroites et fraternelles avec tous les États arabes de la région.

La Grèce peut donc jouer le rôle de médiateur honnête et d'interlocuteur fiable dans l'ensemble de la région. Nous prévoyons de participer à l'avenir de Gaza. Nous pensons pouvoir contribuer tant aux questions humanitaires qu'à la reconstruction et, éventuellement, aux forces de stabilisation.

En outre, la Grèce peut se porter garante de la protection des populations chrétiennes. Nous suivons de près l'évolution de la situation en Syrie. J'ai été l'un des premiers ministres des affaires étrangères à me rendre à Damas après le changement de régime. Nous devons bien sûr laisser une chance au nouveau gouvernement, après les souffrances endurées par le peuple syrien sous l'ancien régime. Mais nous affirmons clairement que toutes les populations de Syrie et du Moyen-Orient doivent être protégées. Nous devons plaider en faveur d'un gouvernement inclusif en Syrie, comme ailleurs. Nous devons développer des synergies autour de la tolérance religieuse.

En tant que ministre des Affaires étrangères de la Grèce, je prendrai une série d'initiatives, tant au niveau régional qu'à celui des États-Unis et de l'ONU. La Grèce est membre élu du Conseil de sécurité et nous avons l'intention de prendre l'initiative de protéger toutes les communautés religieuses, en particulier les communautés chrétiennes, car elles sont les plus vulnérables. Nous devons envoyer un message clair en faveur de l'inclusion. Nous sommes préoccupés par les incidents de violence religieuse dans la région. Nous devons coopérer avec nos alliés américains pour élaborer des programmes spécifiques de protection de ces populations, en collaboration avec le Patriarcat. Il est important de fournir des garanties fiables à toutes les populations chrétiennes de la région.

JOURNALISTE : J'aimerais passer au gaz naturel liquéfié (GNL) et à l'énergie. Il semble que le GNL fasse un retour en force. Le président Trump a fait campagne avec le slogan « drill, baby, drill », et nous assistons à une renaissance de la production et du commerce de l'énergie à l'échelle internationale. D'après ce que j'ai appris lors de ma visite en Grèce, les navires grecs transportent environ 25 % du GNL mondial. La Grèce produit également d'importantes quantités de GNL national. Il existe ce qu'on appelle un « corridor vertical » vers l'Ukraine. Il y a tout ce débat sur l'interconnectivité. Nous suivons les négociations en cours sur l'Ukraine. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'avenir du GNL, sur le rôle de la Grèce dans la région et sur la manière dont cela pourrait influencer un éventuel accord de paix entre la Russie et l'Ukraine ?

G. GERAPETRITIS : L'énergie devient un facteur géopolitique crucial. C'est là tout l'enjeu. Nous comprenons tous que la « puissance dure », la défense, doit être combinée à la « puissance douce », comme l'énergie, et à la « puissance intelligente », comme la protection contre les menaces hybrides. Ce que nous souhaitons, c'est devenir un carrefour énergétique.

La Grèce est effectivement devenue un carrefour énergétique au cours des six dernières années, d'une manière vraiment impressionnante. Premièrement, comme vous l'avez dit, la Grèce a le privilège de disposer de 25 % de la flotte mondiale. De plus, nous gérons environ 25 % du GNL américain à l'échelle internationale. Nous avons développé des unités flottantes de stockage et de regazéification (FSRU) dans le nord de la Grèce, ce qui permet une diversification complète des voies d'approvisionnement énergétique pour l'Europe. De plus, et c'est également un facteur important, nous avons développé des sources d'énergie renouvelables. Plus de 55 % du mix énergétique grec provient désormais de sources renouvelables, ce qui renforce notre sécurité et notre autonomie énergétiques.

Parallèlement, nous développons d'importantes interconnexions électriques : l'interconnexion sous-marine entre la Grèce et l'Égypte, ainsi que la future interconnexion entre la Grèce, Chypre et, par la suite, Israël. Je tiens à souligner le rôle crucial du GNL, en particulier en ce qui concerne l'Ukraine.

Le mois dernier, lors de la réunion du P-TEC, nous avons signé une série d'accords énergétiques en présence de nombreux ministres américains. Ces accords revêtent une importance considérable. Premièrement, ils renforcent la position géopolitique de la Grèce en tant que plaque tournante énergétique en Europe orientale. Deuxièmement, ils garantissent la sécurité énergétique de l'Ukraine à l'approche d'un hiver difficile. Malheureusement, les conflits en Ukraine se poursuivent et nous comptons sur les efforts du président Trump pour mettre fin à cette agressivité. Et troisièmement, grâce au « corridor vertical », l'interconnectivité de l'Europe devient un projet d'une grande importance géopolitique.

Comme je l'ai mentionné précédemment, avant la guerre, la Grèce et l'Europe dépendaient à 45 % du gaz naturel russe. Nous avons déployé des efforts considérables pour nous affranchir de cette dépendance, ce qui était nécessaire tant pour nous que pour l'Europe. Nous avons compris de manière très douloureuse que la dépendance excessive est très dangereuse dans le monde actuel.

Nous cherchons désormais à importer davantage de GNL américain en Europe tout en construisant un avenir énergétique durable qui profite à la fois à l'Europe et aux États-Unis. Le GNL américain est l'alternative la plus fiable au gaz russe.

Mais nous devons fermer toutes les « failles » qui permettraient de violer les sanctions. L'UE a imposé 19 séries de sanctions à la Russie. Ces sanctions ont contribué à réduire les capacités de la Russie. Nous devons toutefois empêcher tout contournement éventuel. Le secteur de l'énergie doit être « propre » et éviter toute forme de produits illégaux.

JOURNALISTE : Monsieur le ministre, merci beaucoup pour votre participation.

G. GERAPETRITIS : Je vous remercie.

Décembre 6, 2025