
JOURNALISTE : Nous souhaitons la bienvenue au ministre des Affaires étrangères, M. Giorgos Gerapetritis. Bienvenue.
G. GERAPETRITIS : Merci beaucoup. C'est un grand plaisir et un honneur d'être avec vous aujourd'hui.
JOURNALISTE : Nous commençons par les questions difficiles. Le Conseil de coopération de haut niveau Grèce - Türkiye. Est-il reporté indéfiniment ou aura-t-il lieu ?
G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, il n'y a rien de facile en politique étrangère, donc toute question serait difficile. Le Conseil de coopération de haut niveau aura lieu à une date dont nous discuterons. Cela dépend de l'agenda des deux dirigeants. Cela dépend, bien sûr, à chaque fois des circonstances.
JOURNALISTE : Est-ce que vous éludez la question ?
G. GERAPETRITIS : Non. Je suis très clair. Il n'est pas question de gel, parce que j'ai aussi lu que les relations gréco-turques étaient gelées. Tous les piliers se poursuivent normalement, c'est-à-dire les piliers relatifs au dialogue politique, à l'agenda positif, aux mesures de confiance. Le Conseil de coopération de haut niveau, qui est le point culminant de tous les piliers du dialogue gréco-turc, aura lieu dans un délai relativement court.
JOURNALISTE : Lorsque tout le monde parle d'un mois d'avril chaud dans les relations gréco-turques, à l'occasion des recherches sur le câble d'interconnexion électrique gréco-chypriote, ils mettent également Israël dans l'équation et la rivalité turco-israélienne, etc. Vous attendez-vous à des tensions hors limites en raison des recherches sur le câble ?
G. GERAPETRITIS : Je comprends que tout entre dans un creuset géopolitique et que, par conséquent, le mélange produit paraît extrêmement explosif pour l'opinion publique. En réalité, le dialogue gréco-turc dure depuis environ deux ans. Il a produit des résultats très significatifs. Il a permis avant tout de relancer les négociations sur Chypre. Il a permis une réduction significative des flux migratoires. Il n'y a eu pratiquement aucune violation de l'espace aérien grec, et les échanges bilatéraux se sont améliorés. La réalité est qu'il y a toujours des tensions. La géographie, malheureusement, au cours des siècles, au lieu de nous unir, nous a divisés. Et ces tensions produisent toujours un fort ressentiment entre les parties. Je tiens à vous dire que nous avons toujours abordé les choses avec sérénité. Vous avez évoqué la question de l'interconnexion électrique entre la Grèce et Chypre. Il s'agit d'un projet partiellement financé par l'Union européenne, un projet d'intérêt européen commun. L'intention de la Grèce et de Chypre est que la recherche et la pose du câble électrique se poursuivent normalement. De plus, la pose de câbles est protégée par le droit international et ne nécessite aucune autorisation. Mon sentiment et mes attentes sont que les travaux se poursuivront normalement.
JOURNALISTE : Avez-vous abordé cette question avec M. Fidan lors de vos rencontres ?
G. GERAPETRITIS : Nous discutons toujours des questions plus générales liées à la sécurité énergétique dans notre région et des questions qui peuvent générer des tensions. Celle-ci, vous le savez, Madame Fotakis, est une question qui a des caractéristiques très spécifiques. Il s'agit d'un projet libre au regard du droit international. Toute la Méditerranée est parsemée de câbles pour l'interconnexion électrique et la transmission de données, il ne s'agit donc pas d'un projet qui peut être entravé. Malheureusement, le fait qu'il n'y ait pas eu pour l'instant de délimitation des zones maritimes, c'est-à-dire du plateau continental et de la zone économique exclusive, alimente ce type de tensions et continuera à le faire jusqu'à ce que nous parvenions à une compréhension commune, à un accord, à un recours [à La Haye] par le biais d'un compromis. Nous nous efforçons de sauvegarder le droit international dans la paix et c'est ce que nous continuerons à faire.
JOURNALISTE : Nous avons également la planification de l'espace maritime qui sera un peu...
G. GERAPETRITIS : Nous en avons beaucoup. La planification de l'espace maritime est une obligation qui relève du droit de l'Union européenne. La Grèce est depuis longtemps en défaut. Les plans d'aménagement de l'espace maritime auraient déjà dû être présentés. Ils le seront dans un avenir très proche, de sorte que nous n'ayons plus cette obligation envers l'Union européenne. Je suis conscient qu'en raison des nombreux problèmes accumulés au fil du temps, qui pourraient potentiellement provoquer des tensions, il est important de maintenir le calme et la compréhension mutuelle. Notre intention est de trouver un terrain d'entente pour aller de l'avant. Vous savez, nous sommes guidés par la géographie et nous essayons depuis deux ans de faire de la géographie un pont plutôt qu'un fossé.
JOURNALISTE : Les déclarations du président Trump vous ont-elles inquiété au sujet d'Erdogan, à côté de Netanyahou ?
G. GERAPETRITIS : Nous sommes toujours en état d'alerte pour tout. Je tiens à vous dire que les certitudes et les éléments d'analyse géopolitique ont été essentiellement éliminés au cours des trois dernières années. Ce que nous pouvons faire, c'est travailler sur de scénarios hypothétiques. La réalité aujourd'hui est qu'il existe un niveau de tension très élevé entre Israël et la Türkiye, qui s'est intensifié à un degré très élevé au cours des deux dernières années. L'arrivée de la nouvelle administration américaine a en effet créé de nouveaux faits dans ce domaine. Je voudrais souligner notre propre position, parce que je veux vous avouer que pour moi, il est essentiel que le sort du pays ne soit pas déterminé par les actions des autres, et il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le sort du pays ne devrait pas être déterminé par des actions des autres. Je tiens donc à vous dire que nos relations avec Israël sont d'une importance stratégique. Cela est confirmé chaque jour, par des réunions de haut niveau. En même temps, nous sommes peut-être le seul pays à entretenir des liens historiques très forts avec l'ensemble du monde arabe. Je pense que ma propre visite au département d'État et ma rencontre avec Marco Rubio sont un témoignage irréfutable des bonnes relations stratégiques que nous entretenons avec les États-Unis, même aujourd'hui. Je pense que la Grèce a établi une relation stratégique extrêmement forte avec toutes les parties intéressées. Nous avons réussi à régler toutes nos grandes questions en suspens et, à une époque de très grande volatilité géopolitique, il est très important de ne pas avoir de grands fronts ouverts.
JOURNALISTE : Et le fait que la Türkiye, en cette période de fluidité géopolitique, semble se renforcer ?
G. GERAPETRITIS : Je répète que je ne vais pas que la position du pays soit déterminée par les actions des autres. Permettez-moi de dire que ce qui est manifestement renforcé, c'est l'empreinte de la Grèce. Je pense qu'il ne devrait y avoir aucun autre pays, du moins dans notre propre région occidentale, qui entretient actuellement d'excellentes relations avec l'ensemble de la planète, et c'est ce qui me semble le plus important. La Grèce fait partie du noyau dur de l'Union européenne, elle est membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, elle jouit d'un très haut niveau de reconnaissance internationale, elle a des partenariats stratégiques avec des acteurs majeurs. La Türkiye a sa propre attitude en matière de politique étrangère. Elle mène une politique étrangère de très grande envergure dans de nombreux domaines - et pas toujours dans des zones calmes - de ce monde. Je pense que le plus important pour nous est de construire notre propre diplomatie sur des bases solides et d'essayer d’élargir ces bases à chaque fois.
JOURNALISTE : Dans ce contexte, est-il possible d'exercer une pression accrue sur la Türkiye pour qu'elle résolve ses problèmes avec la Grèce et la question chypriote ? Peut-on s'attendre à quelque chose de ce genre ?
G. GERAPETRITIS : Je répète que le problème la question chypriote bat son plein. Il y a quelques semaines, nous avons repris la discussion au niveau de la réunion à cinq parties.
JOURNALISTE : Quelque chose qui semblait très, très difficile.
G. GERAPETRITIS : Ce qui semblait presque impossible il y a deux ans, a été possible à la fois grâce à la diplomatie active de la République de Chypre et de la Grèce, mais surtout, si je puis dire, à l'amélioration des relations gréco-turques. Aujourd'hui, je dois dire - et je m'en réjouis particulièrement - que la question chypriote progresse activement. Des réunions ont lieu entre les deux dirigeants. Nous construisons un agenda positif, c'est-à-dire des domaines dans lesquels il peut y avoir des accords mutuellement bénéfiques afin que nous puissions réellement avoir un développement substantiel, qui n'est autre que la réunification de l'île, dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité, qui définissent également le cadre. Je ne parlerais pas de pressions sur la Türkiye. Je parlerais d'un environnement international qui exige la composition et non la séparation.
JOURNALISTE : Vous avez donc quitté Genève plus optimiste ?
G. GERAPETRITIS : Un optimisme prudent je dirais et certainement beaucoup plus optimiste que lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre des Affaires étrangères, alors que la question chypriote traversait une période très difficile. Je voudrais vous rappeler que pendant sept ans, depuis Crans-Montana, il n'y a pas eu de réunion. Il semblait que la question chypriote ne figurait pas parmi les priorités du Secrétaire général. Aujourd'hui, la question chypriote semble être la première priorité des Nations Unies, à l’exception des guerres. De toute évidence, la position de la Grèce en tant que membre du Conseil de sécurité des Nations Unies y contribue également. J'ai le sentiment qu'il existe une compréhension commune du fait que la question chypriote devrait être envisagé comme une question d'importance majeure reliant l'Europe. Chypre est un État membre de l'Union européenne. Mais elle relie aussi le monde entier qui, en ce moment, dans un tel environnement d'instabilité, est à la recherche d'une bonne nouvelle. Et je pense que Chypre devrait avoir un développement qui sera important pour Chypre elle-même.
JOURNALISTE : Puisque vous avez dit que la question de Chypre est aussi une question qui concerne l'Union européenne : Nous discutons dans le cadre du « ReArm Europe » si la Türkiye pourra accéder aux armements de l'Union européenne et en bénéficier. Et il y a même l'opposition qui accuse le gouvernement que la Türkiye profite trop de la Déclaration d'Athènes et construit toutes ces alliances en paix, montrant qu'elle s’entend bien avec la Grèce, et qu'il n'est donc pas nécessaire de l'exclure. J'aimerais avoir votre avis.
G. GERAPETRITIS : Je me demandais s'il y aurait une question qui n'inclurait pas la Türkiye. Permettez-moi donc de dire ce qui suit. Les programmes sur lesquels travaille actuellement l'Union européenne, ReArm Europe et SAFE, sont des programmes relatifs à l’autosuffisance géopolitique de l'Union européenne. Ce sont des programmes nécessaires pour que l'Europe puisse se suffire à elle-même sans avoir besoin d'aucun agent extérieur. Dans ce contexte, un plan d'action est déjà en cours d'élaboration. Il va de soi que les intérêts des États membres de l'Union européenne seront pris en compte. C'est la décision de la Commission européenne, qui y veille. Et je voudrais dire, suite à ce que je peux entendre sur la déclaration d'Athènes, qu'il s'agissait en fait d'un très grand pas, presque 95 ans après, alors que nous avions ces hauts et ces bas constants dans les relations gréco-turques, un accord d'amitié et de bon voisinage, dont nous comprenons tous qu'il ne pouvait pas résoudre du jour au lendemain des problèmes qui remontent à des décennies. Mais il crée une base qui permet aux Etats – qui ne s’écartent pas de leurs positions fondamentales, de s'appuyer sur les éléments qui les unissent. Et je tiens à vous dire que la déclaration d'Athènes ne constitue en aucun cas « une porte arrière ». Au contraire, je pense qu'il s'agit d'une base permettant de construire quelque chose de meilleur, de plus solide pour les générations futures. Parce qu'en fin de compte, ce qui compte, c'est que nous soyons dans un environnement de paix et que les gens prospèrent.
JOURNALISTE : Passons maintenant à Washington pour changer de sujet, pour quitter la Türkiye. Êtes-vous préoccupé par la guerre commerciale que le président Trump a déclarée en Europe également ?
G. GERAPETRITIS : Aucune guerre commerciale n'est positive en principe. Elle produit évidemment de l'inquiétude. Et je pense que le bras de fer que nous vivons actuellement, avec des mesures et des contre-mesures impliquant des droits de douane et d'autres mesures économiques, crée un environnement extrêmement complexe. Je pense que, dans la vision économique classique, nous pouvons également nous attendre à des effets secondaires négatifs, tels que l'inflation, la récession ou même une augmentation des taux d'intérêt. En réalité, nous devrions chercher des solutions significatives et productives aux problèmes commerciaux existants. Le protectionnisme a historiquement prouvé qu'il n'était pas propice à long terme au bon fonctionnement de l'économie libre. Pour nous, en tant que Grèce, mais aussi en tant que membre de l'Union européenne, je pense que l'important est que nous soyons en mesure de rechercher, par une approche plus consultative, des solutions à tout problème afférent au commerce international et que nous ne soyons pas conduits à ce type de confrontation, qui ne peut être que négative pour tout le monde.
JOURNALISTE : Je voudrais terminer par le Conseil de sécurité. La Grèce assumera la présidence en mai. Quelles seront les priorités ?
G. GERAPETRITIS : C'est un grand honneur pour la Grèce de siéger au Conseil de sécurité. Bien sûr, dans les circonstances actuelles, nous comprenons tous qu'il s'agit d'une énorme responsabilité.
JOURNALISTE : Ce n'est pas le meilleur moment, ni le plus facile.
G. GERAPETRITIS : Je dirais plutôt le contraire, c'est la période la plus difficile depuis la Seconde Guerre mondiale, au milieu des guerres et des bouleversements géopolitiques, mais surtout au milieu d'un environnement international très volatile, qui se définit de manière multifactorielle. Il n'y a pas de prévisibilité.
Mais nous nous appuyons sur des valeurs stables. Et les valeurs stables pour nous sont l'application du droit international, en particulier le droit de la mer, la résolution pacifique des différends, la protection des groupes vulnérables, des femmes, des enfants dans les conflits, le changement climatique, qui nous touche de plein fouet.
Pour nous, le plus important est de pouvoir instaurer la conviction selon laquelle la communauté internationale, le multilatéralisme international, peut apporter des solutions. Car la vérité est que ces dernières années, les Nations Unies, et toutes les organisations internationales, ont subi un coup dur, tant sur le plan de la représentation que sur le fond, à cause de toutes les crises récurrentes qui, malheureusement, ne sont pas résolues.
Nous apporterons notre propre pierre à l'édifice afin de récupérer ce grand pouvoir qu'est le droit international. La Grèce a toujours défendu le droit international. C'est notre grand allié et nous ne nous en détournerons pas. Ce sera notre priorité pendant notre présidence en mai.
JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, merci beaucoup.
G. GERAPETRITIS : Ce fut un grand plaisir.
Avril 9, 2025