Discussion entre le ministre des Affaires étrangères Giorgos Gerapetritis et la journaliste Katerina Panagopoulou sur les développements mondiaux à la marge du « Delphi Economic Forum X » (10.04.2025)

Discussion entre le ministre des Affaires étrangères Giorgos Gerapetritis et la journaliste Katerina Panagopoulou sur les développements mondiaux à la marge du « Delphi Economic Forum X » (10.04.2025)

JOURNALISTE : Dans un environnement extrêmement volatile, avec des conditions géopolitiques en constante évolution, un nouveau président américain qui a déjà provoqué un tremblement de terre mondial, une guerre en cours en Ukraine, il est très intéressant, je pense, de s'entretenir avec le ministre des Affaires étrangères. Monsieur Gerapetritis, je suis heureux que nous ayons l'occasion de discuter aujourd'hui au Forum de Delphes. Je commencerai par le câble, car il semble que la reprise des travaux sur l'interconnexion électrique Grèce-Chypre-Israël ne soit plus qu'une question de jours. Quand la reprise aura-t-elle lieu ? Car on a l'impression qu'elle est de plus en plus tardive. Et, bien sûr, en ce qui concerne les objections de longue date d'Ankara sur cette question. Qu'est-ce qui vous fait penser que nous n'aurons pas une autre situation de tension comme celle de Kassos en juillet ?

G. GERAPETRITIS : Madame Panagopoulou, le gouvernement grec et le ministère des Affaires étrangères font tout leur possible pour qu'il n'y ait pas de problème d'interconnexion électrique. L'exploration et la pose de câbles, comme vous le savez, sont protégées par le droit international, et il n'est donc pas nécessaire d'obtenir une quelconque autorisation. Nous planifions toutes les actions nécessaires. Il s'agit d'un exercice techniquement complexe. Il nécessite une série d'actions de la part de plusieurs ministères. Les travaux d'étude et de pose reprendront au moment opportun. Il n'y a finalement pas eu de date contraignante pour cela. Nous procéderons au moment opportun.

JOURNALISTE : Toutefois, selon une fuite d’informations aujourd'hui de la part du ministère turc de la Défense, il serait inacceptable que la Grèce et les deux autres parties insistent sur la poursuite de projets irréalisables et provocateurs. Et je voudrais vous demander si la même histoire de Kassos avec les navires des deux pays se répète, comment Athènes s'est-elle préparée ? Comment réagirons-nous ? Et compte tenu du fait qu'Israël est également dans l'équation, alors qu'en ce moment la tension avec la Türkiye est à son comble.

G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, je ne vais pas commenter les fuites d’informations. Ce que je vais faire, c'est vous dire quelle est la position du ministère grec des Affaires étrangères et de l'État grec. Le projet d'interconnexion électrique entre la Grèce et Chypre est un projet d'intérêt commun de l'Union européenne. Il est partiellement financé par l'Union européenne. Plusieurs États sont directement intéressés et impliqués dans ce projet. L'intérêt est donc plus grand. Nous comprenons la valeur énergétique significative du projet, en particulier pour Chypre, car il met fin à l'isolement énergétique de Chypre et présente donc un avantage multidimensionnel. La question de savoir si ce projet est conforme au droit international est parfaitement claire. Heureusement, pour nous tous, il y a quelque chose qui transcende tout autre chose, et dans un cadre d'architecture de sécurité internationale, nous devons tous le respecter, c'est le droit international. Le droit international n'est pas ouvert à de multiples interprétations. La Grèce, comme vous le savez, Madame Panagopoulou, a agi pendant toutes ces décennies en gardant à l'esprit ce point précis, à savoir le droit international et, en particulier, le droit de la mer. Nous n'agissons pas de notre propre initiative et nous ne ferons rien qui soit contraire au droit international, mais d'un autre côté, nous exigeons de chaque partie qu'elle fasse preuve du respect qui s'impose.

JOURNALISTE : J'imagine donc qu'il existe un plan de réaction si l’histoire de Kassos se reproduit.

G. GERAPETRITIS : Il existe des scénarios pour parer à toute éventualité, nous sommes donc parfaitement préparés.

JOURNALISTE : La coopération avec Israël ne porte pas seulement sur le câble, mais aussi sur les armes. En fait, dans le cadre de l'ambitieux projet de dôme antiaérien qui couvrira la mer Égée, nous recevrons des armements d'Israël. Nous comprenons que cela rend nos relations avec la Türkiye encore plus difficiles, dans le sens où ils affirmeront qu’alors que nous cherchons à nous réconcilier, vous achetez des armements à Israël.

G. GERAPETRITIS : Je pense que la réponse est très simple. La politique étrangère grecque n'est pas déterminée par des facteurs extérieurs. Et vous savez, l'attitude dominante au cours des années a été que nous devrions considérer toutes les actions diplomatiques grecques à la lumière de la perspective turque ou de la réaction turque. En réalité, les relations que nous avons développées avec Israël sont extrêmement importantes. Elles revêtent une importance stratégique. Mais je tiens à souligner tout particulièrement que nous avons des relations tout aussi importantes, des relations de très haut niveau, de coopération et de solidarité avec tous les États arabes, avec lesquels nous entretenons d'excellentes relations. La Grèce développe une diplomatie multilatérale et nous continuerons à le faire. En ce qui concerne la coopération spéciale avec Israël, nous la développons et l'approfondirons de manière indépendante. Les relations bilatérales sont extrêmement bonnes et ont une profondeur stratégique particulière. Nous continuerons à le faire. La Grèce est un pilier de stabilité dans l'ensemble de la région. Nous continuerons à le faire en mettant l'accent sur le droit international et toujours dans l'intérêt de la paix et de la sécurité régionales.

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, dans le journal Milliyet on apprend que la rencontre de Kyriakos Mitsotakis avec Tayyip Erdogan a été reportée indéfiniment suite à la visite du Premier ministre grec en Israël et à sa rencontre avec Benjamin Netanyahu. Les relations ont-elles été de nouveau gelées, sans que cela soit ouvertement déclaré afin de ne pas ébranler les fondements de la déclaration d'Athènes ?

G. GERAPETRITIS : Je me réjouis de votre question directe et vous obtiendrez une réponse directe. Il n'y a pas de gel dans les relations gréco-turques. Il y a toujours des points de désaccord. Et vous savez, je pense que nous avons prouvé que nous sommes bien réalistes et que nous ne croyons pas non plus que nous pouvons tout résoudre d'un seul coup. Nous ne sommes pas des faiseurs de miracles, nous sommes des hommes politiques. C'est pourquoi je tiens à souligner que les relations gréco-turques, telles qu'elles ont été structurées, organisées, avec des résultats à atteindre et des calendriers, se poursuivront. Bien sûr, le Conseil de coopération de haut niveau, qui comprend essentiellement la réunion entre les deux dirigeants, aura lieu l'année prochaine. Il n'a pas encore été clairement défini. Selon les dernières informations, cette rencontre aurait lieu après Pâques. Mais nous ne sommes en aucun cas dans un état de gel.

JOURNALISTE : Restons-en aux relations gréco-turques. Nous constatons qu'en effet, ces dernières années, les violations aériennes ont été quasiment nulles, mais il n'en va pas de même en mer. Selon les données officielles de l'état-major général, qui ont également été portées à l'attention du ministère, nous avons enregistré un record de violations, par rapport aux quatre dernières années, de nos eaux territoriales par des navires de guerre et des garde-côtes turcs. Où est donc l'accalmie dans ce domaine ?

G. GERAPETRITIS : Avec tout le respect que je vous dois, il y a de l’accalmie dans de nombreux domaines, et pas seulement dans un seul. Nous comprenons tous ce que signifie l'absence de violations de l'espace aérien, et pas seulement d'un point de vue opérationnel. Car il y a toujours le risque d'un incident grave ou d'une crise aérienne majeure qui peut conduire à des événements extrêmement sanglants. Ce que je voudrais souligner, c'est que la coopération a produit des résultats significatifs dans de nombreux domaines, tels que le commerce bilatéral, le domaine de la migration, où dans une période extrêmement difficile de grands déplacements de guerres dans notre région, mais aussi de grandes crises humanitaires, les flux migratoires ont été réduits de manière significative grâce à la coopération qui existe entre les autorités grecques et turques. Nous avons des échanges au niveau de la population, du tourisme. Savez-vous que les économies locales, aujourd'hui, de 12 îles grecques ont été considérablement stimulées grâce aux visas octroyés par une procédure accélérée aux Turcs et à leurs familles ? Mais surtout, il y a une amélioration de la compréhension entre les deux gouvernements et je pense aussi entre les deux peuples. Je voudrais souligner que, malgré ce que vous dites à juste titre, tous les problèmes ne sont évidemment pas résolus d'un coup.

Je voudrais dire qu'il est important de savoir comment nous nous comportons vis-à-vis de la Türkiye, mais surtout comment nous gérons notre propre position dans la région, non seulement à l'horizon d'aujourd'hui et de demain, mais aussi à l'horizon du long terme. Voulons-nous d'une Grèce qui a constamment le doigt sur la gâchette ? Je serai clair. La Grèce veille à renforcer sa défense et elle le fait de manière excellente. La Grèce veille à l'équilibre et à la stabilité de ses finances publiques afin de ne pas être ébranlée par une crise économique et commerciale, et elle étend son empreinte diplomatique. Mais surtout, toutes ces actions n'ont qu'un seul but : la paix et la prospérité. Elles ne visent pas à instaurer un état de guerre permanent. Nous sommes préparés, nous sommes vigilants, mais nous sommes les premiers à vouloir un voisinage pacifique.  

JOURNALISTE : L'emprisonnement d'Ekrem Imamoglu suscite des réactions internationales. Nous comprenons que nous devons être extrêmement prudents dans notre formulation. Mais quelle est notre position ? Pensons-nous qu'il y a un déficit démocratique à cet égard chez nos voisins en ce moment ?

G. GERAPETRITIS : Ce que nous disons, c'est qu'il ne peut y avoir aucune concession à l'État de droit et aux libertés civiles. Nous l'avons dit dès le début. Nous avons été très clairs. Des réponses convaincantes doivent être apportées à toute restriction de liberté, comme c'est le cas ici avec le maire d'Istanbul, puisqu'il s'agit essentiellement de personnes politiques actives dans la vie publique. En tout état de cause, l'Union européenne et l'Occident dans son ensemble se sont déjà exprimés. La démocratie, l'État de droit doivent être respectés au quotidien.

JOURNALISTE : L'entreprise américaine Chevron, monsieur le ministre, a manifesté son intérêt après le 25 mars et les déclarations de Donald Trump selon lesquelles la Grèce est un allié - avant les déclarations d'hier du président américain - et le lendemain, Chevron a manifesté son intérêt pour mener des explorations sous-marines dans le sud-est de la Crète, ce qui met essentiellement en lambeaux le fameux mémorandum turco-libyen. Cela ne risque-t-il pas de créer de nouvelles tensions ?

G. GERAPETRITIS : Il s'agit toujours d'être très prudent, mais aussi d'exercer les droits que la loi nous confère. Et je suis vraiment perplexe parce que, d'une part, nous sommes critiqués pour notre réticence à les exercer, mais d'autre part, nous pouvons également entendre des critiques selon lesquelles nous sommes imprudents lorsque nous les exerçons. En réalité, la Grèce, avec sagesse et prudence, prend des mesures très importantes. Exxon et Chevron ne sont pas seulement des entreprises énergétiques. Ce sont des géants qui ont également une empreinte géopolitique aux États-Unis. Et tout le monde peut comprendre ce que cela signifie pour ces entreprises d'être en Grèce en ce moment. C'est en fait un gage de réussite pour l'économie grecque, pour la stabilité politique en Grèce, mais bien sûr, c'est aussi une récompense substantielle pour la politique grecque, la politique étrangère grecque et la politique énergétique grecque. Nous n'avons pas l'intention de restreindre les droits d'un pays tiers, mais nous ne tolérerons pas non plus de restriction de nos propres droits.

JOURNALISTE : Venons-en à l'Amérique et à la question qui occupe le devant de la scène mondiale, les tarifs douaniers de Donald Trump. Une question économique d'une part, qui touche aussi à la géostratégie. Nous entendons, Monsieur le Ministre, et nous sommes surpris de revoir des scénarios qui rappellent le début du siècle dernier. Les guerres commerciales, dont on sait qu'elles débouchent souvent sur de véritables guerres.

G. GERAPETRITIS : Madame Panagopoulou, vous avez raison. Nous vivons une situation sans précédent depuis des décennies. La Grèce est parfaitement préparée à toutes les éventualités. La Grèce a un privilège qui n'est pas toujours garanti à tous les pays. D'avoir un gouvernement très puissant, d'avoir une stabilité politique, mais, d'un autre côté, d'avoir des alliances très fortes. La stabilité économique et financière du pays ne sera mise à l'épreuve par aucune action. Néanmoins, il est évident que la Grèce subira également les effets secondaires d'une guerre commerciale, qui est susceptible de conduire, selon l'économie politique classique, à des phénomènes tels que la récession, l'inflation ou une augmentation des taux d'intérêt. Il est clair que le libre-échange doit être protégé. Et dans le cas spécifique des États-Unis, je pense que nous avons été clairs. Le Premier ministre l'a dit sur tous les tons. Entre alliés, il faut trouver des solutions, et la solution n'est pas toujours des représailles ou des restrictions. Il s'agit avant tout d'essayer de désamorcer les crises et de trouver des solutions lorsqu'il y a des obstacles au commerce international, de manière à ce qu'il soit bénéfique pour tous. Une économie stable et prospère profite à tous, aux États comme aux citoyens.

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, la Grèce prendra la tête du Conseil de sécurité en mai. Que peut-on en attendre ?

G. GERAPETRITIS : Nous avons beaucoup à attendre, à la fois pour la Grèce et, je pense, au niveau international, la présence de notre pays sera importante. Je voudrais dire que le fait d'avoir été élu au Conseil de sécurité, avec le vote presque unanime de tous les États membres des Nations Unies, dans l'ère post-communiste la plus difficile, marque en fait un grand vote international de confiance en faveur de la Grèce et l'État grec. Et je voudrais remercier tous les représentants des États étrangers qui sont ici dans l'auditoire aujourd'hui et qui nous écoutent pour leur soutien à ce projet. Nous, Mme Panagopoulou, en tant que membre élu du Conseil de sécurité, n'avons qu'un seul objectif : unir et non diviser. Unir et non diviser. Jeter un pont entre le Nord et le Sud, entre l'Est et l'Ouest, et c'est ce que nous avons l'intention de faire. Nous avons déjà pris des initiatives importantes pour restaurer le rôle de la Grèce en tant que force stable dans la recherche d'autres méthodes de résolution pacifique des différends. Ce qui a été perdu, et malheureusement, cela nuit non seulement à l'image mais aussi à la position institutionnelle des Nations Unies, est la capacité de l'Organisation à fournir des solutions aux questions majeures et brûlantes.

Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est d'une présence dynamique du multilatéralisme international et c'est ce que nous ferons. La Grèce assumera la présidence du Conseil de sécurité des Nations Unies en mai prochain et nous mènerons une série d'actions dans ce sens. Parmi nos priorités figurent la protection des populations vulnérables, les enfants dans la guerre, les femmes et la crise climatique. Nous organiserons un événement majeur le 20 mai à New York sur la sécurité maritime. Pour la Grèce, la sécurité maritime n'est pas seulement une question vitale, existentielle, en raison de la taille importante de la flotte marchande grecque. Elle est particulièrement importante parce que la sécurité maritime garantit en fait l'accès, la sécurité alimentaire, la paix et la prospérité dans la région. Un très grand événement aura lieu le 20 mai. Il sera accompagné d'actions et d'initiatives individuelles dans lesquelles la Grèce sera le pays chef de file. La Grèce veut jouer un rôle fort et je pense que nous sommes en mesure de le faire parce que nous sommes des interlocuteurs honnêtes avec toutes les parties, tant au Moyen-Orient que dans la région élargie de la Méditerranée orientale.

JOURNALISTE : Parlons également de la guerre en Ukraine. L'Europe envisage d'envoyer des troupes. Le Premier ministre grec a déclaré que nous n'en enverrions pas. Excluons-nous à l'avenir la participation de troupes grecques ? Bien sûr, toujours dans le cadre européen.

Γ. GERAPETRITIS : Comme vous le comprenez, la participation à la résolution de la question ukrainienne ne se limite pas à l'envoi de forces terrestres. Les pays seront invités à contribuer de diverses manières. La Grèce a toujours soutenu l'Ukraine et s'est montrée ferme, bien que nous ayons été la cible de nombreuses critiques. Nous n'utiliserons jamais deux poids deux mesures, car ce n'est que lorsque vous êtes crédible que vous avez un intérêt légitime, lorsque vous êtes vous-même en crise, que vous pouvez demander la coopération de vos autres partenaires. C'est pourquoi nous soutiendrons l'Ukraine et nous apporterons notre propre contribution. Pour l'instant, il n'est pas question d'envoyer des forces terrestres. Mais nous défendrons de toutes les manières possibles l'affirmation de la légitimité internationale, de la souveraineté et, en fait, la condamnation immédiate de tout révisionnisme dans la région et dans le monde.

JOURNALISTE : Votre prédécesseur au ministère des Affaires étrangères a signé la délimitation partielle de la ZEE avec l'Égypte. Où en est le processus pour la partie restante ?

G.  GERAPETRITIS : Vous pourriez demander à l'ambassadeur d'Égypte qui est présent ici. Permettez-moi de dire que nous avons une relation stratégique de très haut niveau avec l'Égypte. Notre relation avec l'Égypte est, si j'ose dire, une relation fraternelle et c'est pourquoi, en tant que frères, nous discutons toujours de ces questions. Il s'agit d'une relation stratégique d'amitié profonde. Nous aurons l'occasion de discuter longuement de nombreuses questions. Je voudrais souligner que nous sommes liés par beaucoup d'autres choses, en dehors de la question de la délimitation de la zone économique exclusive. Permettez-moi de mentionner le plus important, à mon avis, qui est l'interconnexion électrique entre l'Égypte et la Grèce. Il s'agit d'un projet d'une grande importance énergétique et géopolitique. Il apportera de l'énergie verte de l'Afrique vers l'Europe et la Grèce est en train de devenir la principale plaque tournante de l'énergie dans ce domaine. Je tiens à souligner l'importance des projets régionaux de cette envergure. Nous sommes convaincus qu'à travers ce projet et de nombreux autres projets que nous développons avec l'Égypte, il y aura de nombreux résultats tangibles importants au bénéfice des deux pays, mais aussi au bénéfice de toute notre région.

JOURNALISTE : Au ministère de la défense nationale, les armements atteignent 25 milliards, sur une décennie bien sûr, et la Türkiye a été identifiée comme une menace existentielle. Êtes-vous d'accord avec cela ?

G. GERAPETRITIS : Ce dont je suis d'accord c’est que nous devons toujours être vigilants. Nous sommes dans une région du monde qui est attaquée de toutes parts. Nous avons dans notre voisinage une très grande crise au Moyen-Orient. Pour la première fois depuis la guerre, nous avons une guerre au cœur de l'Europe, qui implique désormais davantage de parties prenantes. Deux pays, mais aussi le monde entier, sont dans la tourmente en Ukraine. Nous comprenons à quel point notre région est vulnérable. Nous devons donc agir rapidement. La Grèce a pris des mesures, après une décennie au cours de laquelle, malheureusement, en raison de la crise fiscale majeure, nous avons réduit l'intensité de notre propre capacité de défense. Au cours des six dernières années, nous avons pris soin de renforcer nos forces armées, de les renforcer en termes d'infrastructures, d'équipements et de personnel. Nous voyons l'avenir, nous voyons notre défense comme un levier pour la paix. Les menaces qui pèsent sur le monde aujourd'hui, permettez-moi de le dire, ne sont pas seulement des menaces de guerre. Ce sont aussi des menaces qui proviennent de nombreux domaines. La menace de la crise climatique, la menace de la crise alimentaire, les pandémies, les crises migratoires, les crises hybrides de cybersécurité. Ainsi, à l'heure actuelle, les crises existentielles dépassent largement les risques traditionnels.

JOURNALISTE : Je vais vous poser une question de politique intérieure. Monsieur le Ministre, je voudrais vous demander après les dernières révélations, les conclusions vont et viennent. Je fais référence à l'accident de Tempi. Des conseillers techniques aux qualifications douteuses, des démissions. Je voudrais vous demander si vous pensez avoir bien géré l'affaire de Tempi en tant que gouvernement ?

G. GERAPETRITIS : Je pense que ce sont deux choses différentes. Je veux dire par là que les questions relatives aux experts relèvent purement de l'évaluation judiciaire. Et je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que les experts légaux et experts qui interviennent dans un dossier doivent être des personnes qualifiées, qui ont les diplômes et les qualifications professionnelles requises pour être en mesure de donner cette opinion. Sinon, nous comprenons tous qu'il peut y avoir des erreurs d'appréciation ou des manipulations. Le minimum que l'on puisse exiger est donc que les conclusions d'un expert soient fiables et qu'elles émanent de personnes présentant les garanties d'indépendance et de connaissances appropriées.

En ce qui concerne la question de savoir si le traitement a été approprié, nous devons comprendre que le gouvernement et l'État grec s'efforcent toujours d'être totalement transparents dans ces domaines. Je tiens à le dire et à le faire savoir avec insistance, car il y a eu une tentative constante de dissimulation, en ce qui me concerne et pour autant que je sache, je tiens à dire catégoriquement que personne, absolument personne, ne pourrait supporter, pour des intérêts partisans, de jeter une ombre sur une si grande tragédie.

Et c’est vraiment triste et pénible de devoir se défendre de choses qui sont tout à fait claires. Je tiens à vous dire que le gouvernement s'est toujours efforcé de procéder à un examen approfondi, à un examen parlementaire, par l'intermédiaire des commissions prévues par la Constitution, afin d'assurer la transparence. Moi-même, pendant ma période de transition au ministère de l'infrastructure et des transports, j'ai veillé à ce qu'il y ait rapidement une commission d'enquête qui, en un temps record - ce qui n'avait jamais été le cas pour aucun accident dans le monde -, en un mois et demi, a rendu une première conclusion, qui figure actuellement dans le dossier et qui, à ce jour, est invoquée par toutes les parties et les parents des victimes. Nous avons veillé à ce que l'Agence ferroviaire européenne soit impliquée dans le processus, afin de garantir encore davantage l'indépendance. Les choses ont été faites pour que la vérité soit révélée, et ce dans le respect de l'indépendance de la justice. Il faut admettre, et je pense que nous devons tous le faire, que c'est la justice grecque qui est la seule compétente pour établir des responsabilités.

Mais on ne peut pas, a priori, assimiler la valeur institutionnelle du pouvoir judiciaire, qui sera appelé à faire la lumière sur l'affaire de Tempi. Car en le faisant, c'est l'ensemble des structures fondamentales de l'Etat que l'on remet en cause. Il y a probablement eu des erreurs de gestion.

JOURNALISTE : Au niveau de la communication ?

G. GERAPETRITIS : Vous savez, je ne suis pas partisan de la communication. D'après mon expérience scientifique personnelle, je pense que la communication ne peut pas être l'élément principal. Madame Panagopoulou, je suis toujours d'avis que ce que nous devrions avoir à l'esprit, c'est de servir le pays à partir de la position à laquelle chacun d'entre nous a été assigné, en offrant de la substance et non de la communication. Il se peut qu'il y ait eu, et il y a probablement eu, des erreurs de communication. Mais elles n'ont aucune valeur face à la tragédie qui s'est produite.

En ce moment, tous les citoyens grecs exigent à juste titre la vérité et ont toutes les raisons de l'exiger. Ils exigent une « catharsis ». Cette catharsis viendra par les voies prévues par la Constitution et par la justice dans cette affaire. D'autre part, ce qui est vrai, c'est que nous devons tous nous être unis.

Nous ne devons pas manipuler la situation, nous ne devons pas nous engager dans une exploitation politique des choses. Telle est ma position. Je ressens vraiment une énorme responsabilité d'être dans la position où je suis pour tout ce qui se passe. La tragédie de Tempi n'a été facile pour personne. C'est un nœud dans l'estomac de chacun d'entre nous. Ma conviction est que la justice sera rendue et que les responsabilités seront attribuées là où elles doivent l'être.

JOURNALISTE : Une demi-heure s'est écoulée. J'aimerais poser une dernière question dans les deux minutes qui nous restent. Qu'est-ce que cela fait d'être ministre des Affaires étrangères, en général et en particulier dans un environnement aussi instable ces derniers temps ? Parce que la Grèce n'est pas une superpuissance.

G. GERAPETRITIS : C'est le pire moment pour être ministre des Affaires étrangères, et je ne vous le dis pas pour me confesser. Je vous le dis parce que lorsque nous rencontrons les ministres des affaires étrangères des autres États membres, ils nous disent ce qu’ils ont sur le cœur, à savoir qu'ils pourraient se trouver dans un meilleur environnement international, un peu plus en sécurité, afin d'organiser un peu mieux leur propre diplomatie.

Malheureusement, la manière dont la politique étrangère est menée a beaucoup changé. La première chose qui a changé, et la plus importante, c'est qu'il n'y a plus de prévisibilité. Vous savez, dans le passé, nous essayions de faire une exploration prospective, de voir comment les choses se passeraient dans cinq, dix ou vingt ans. Mais aujourd'hui, le temps passe si vite qu'il n'y a plus d'intérêt à le faire. Ce qu'il faut maintenant, c'est prévoir tous les scénarios possibles. En d'autres termes, nous devons être en mesure de gérer tout ce qui peut arriver, même les scénarios les plus extrêmes.

C'est pourquoi il faut de la prudence, et avant tout du sang froid. Il faut une très, très bonne connaissance de la diplomatie, de l'histoire, de la politique, et surtout une conviction profonde de la responsabilité que nous assumons tous. Dans un environnement géopolitique aussi instable, une personne seule ne peut pas apporter de solution ; la majorité peut le faire. C'est pourquoi je reste attaché à la valeur du multilatéralisme international, de l'architecture de sécurité internationale. Je crois que ce n'est qu'en créant des synergies avec d'autres États qui partagent les mêmes visions du monde, la croyance dans le droit international, la croyance dans la coopération internationale, la croyance qu'il existe des liens communs qui nous unissent, que nous pourrons trouver de vraies solutions à des problèmes universels.

Car aujourd'hui, il n'y a pas une seule tension qui n'affecte pas l'ensemble de la planète. Et je dis cela en sachant que, dans tous les cas, un petit mouvement peut avoir un effet disproportionné. Vous voyez, par exemple, comment la planète entière peut être secouée par un conflit local.

Aujourd'hui - et c'est l'une de nos principales préoccupations au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies - ce qui se passe en Afrique et, en particulier, en Afrique subsaharienne, dans la région du Sahel, est sans précédent. Nous sommes dans une situation où presque tous les États sont en état de crise majeure. Rien qu'au Soudan, quelque 20 millions de personnes souffrent d'insécurité alimentaire et sont contraintes de quitter leur foyer. Cela donne une idée de ce que cela peut signifier pour les migrations, pour la sécurité, pour la dimension humanitaire des choses.

Je pense donc que le sens est très clair. À un moment donné, nous devrons regarder au-delà de notre propre maison, car notre maison n'est pas le petit espace que la géographie nous a assigné. Notre maison, c'est notre région et la planète tout entière. Ce n'est que si nous avons ce type de compréhension globale des problèmes qui se posent actuellement que nous pourrons trouver des solutions universelles. Car ce dont nous devons nous souvenir, je pense, en fin de compte, c'est que nous ne sommes pas les propriétaires de cette planète. J'y pense tous les jours.

Il y a aujourd’hui, les jeunes de l'Académie diplomatique, qui formeront le Corps diplomatique dans quelques mois. Nous devons transmettre aux jeunes générations une planète qui aura des dividendes à donner. La surexploitation du capital par les générations précédentes devra bien s'arrêter un jour. Et ce dividende devra être un dividende de paix et de prospérité. Et c'est à cela que nous devons tous travailler.

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, Monsieur Gerapetritis, je voudrais vous remercier pour notre discussion.

G. GERAPETRITIS : Je vous remercie.

Avril 10, 2025