Interview du ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis au journal télévisé de la chaîne SKAI, avec la journaliste Sia Kosioni (16.04.2025)

Interview du ministre des Affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis au journal télévisé de la chaîne SKAI, avec la journaliste Sia Kosioni (16.04.2025)

JOURNALISTE : Nous avons avec nous le ministre des Affaires étrangères, monsieur Giorgos Gerapetritis. Bonsoir monsieur le Ministre et merci d’être avec nous sur SKAI, en cette journée si symbolique. Je pense que l’on a suffisamment expliqué ce qu’est exactement cette Planification de l'espace maritime, cette carte d’aménagement maritime. Dites-nous pourquoi maintenant ? Et quelle importance vous y accordez ?

G. GERAPETRITIS : Permettez-moi d’abord, en vous remerciant et en souhaitant de joyeuses fêtes de Pâques à vous et à vos auditeurs, une bonne Résurrection (Pâques), de souligner qu’il s’agit d’un texte d’importance vitale pour la Grèce et pour les intérêts nationaux grecs. Cela, parce que, d’une part, il définit l’activité humaine exercée dans l’espace maritime. Autrement dit, il précise quelles sont les activités humaines pouvant avoir lieu dans les zones maritimes relevant de la juridiction grecque: aquaculture, tourisme, valorisation des antiquités sous-marines, etc. Toutes les activités humaines. Et d’autre part, il délimite pour la première fois le cadre géographique dans lequel cette juridiction s’exerce.

JOURNALISTE : Un instant. Il faut d’abord bien comprendre que l’on ne parle pas ici de délimitation de la ZEE (Zone Économique Exclusive). C’est une chose différente. J’aimerais aussi avoir votre commentaire concernant la réaction de la Türkiye ? Le ministère turc des Affaires étrangères a réagi de manière relativement modérée. C’est comme s’il y avait une ligne de communication ouverte avec nos voisins à ce sujet ?

G. GERAPETRITIS : Il est clair que nous partons de points de départ différents. La Grèce exerce ses droits dans le cadre exclusif du droit international et au service de l’intérêt national. Et sur ce point, nous restons fermes. De son côté, la Türkiye a sa propre approche. Sa réaction était, je pense, prévisible, car les positions turques sont connues et ont été exprimées publiquement.

JOURNALISTE : Mais y avait-il une concertation ? Je veux dire, aviez-vous discuté de la question avec M. Fidan ? Les Turcs savaient-ils que nous allions annoncer ce Plan d’Aménagement ?

G. GERAPETRITIS : Madame Kosioni, il était connu qu’il existait une décision de la Cour européenne, selon laquelle la Grèce devait publier sa Planification de l'espace maritime d’ici le 27 avril. C’est pourquoi que l’on s’y attendait dans une certaine mesure. Par ailleurs, je tiens à souligner ceci : si, à ce stade, nous avons deux positions différentes — la position grecque et la position turque — il existe une voie pour résoudre cette divergence, à condition que les deux parties soient guidées principalement par le droit international. Cette voie, c’est celle du compromis, afin de régler cette question de la délimitation de la Zone Économique Exclusive. Et c’est exactement la ligne que la Grèce a toujours suivie.

JOURNALISTE : Donc, devons-nous comprendre cela comme un début de négociation ? Que ce sont les positions de part et d’autre, et qu’on s’oriente vers une discussion ?

G. GERAPETRITIS : La Grèce élève et renforce son empreinte diplomatique. Pour la première fois, les limites extrêmes du plateau continental grec sont consignées sur une carte. Bien entendu, sur la base du droit international, qui exige un accord entre les États ayant des côtes adjacentes ou opposées pour délimiter une Zone Économique Exclusive (ZEE).
Cela dit, il est extrêmement important que, dans le cadre de l’acquis européen et de la législation de l’Union, la Grèce inscrive sa capacité maximale dans les zones maritimes. Cela représente, en substance, la position officielle de la Grèce sur les questions maritimes.

JOURNALISTE : Pourquoi cela nous a-t-il pris autant d’années, jusqu’à avoir une condamnation ?

G. GERAPETRITIS : Madame Kosioni, j’ai entendu l’opposition reprocher au gouvernement ce retard. Honnêtement, je m’attendais à un peu moins de mesquinerie sur ce sujet. Les choses sont très concrètes. Tout d’abord, il faut comprendre que la Grèce n’est pas un pays enclavé. Elle a le littoral le plus long de toute l’Union européenne. Elle compte 8 500 îles, ce qui rend l’élaboration de la Planification de l'espace maritime extrêmement complexe.

JOURNALISTE : Donc, c’étaient surtout des difficultés techniques...

G. GERAPETRITIS : Il y a un autre facteur, si vous me permettez : au fil du temps, le gouvernement a conclu deux accords majeurs, avec l’Égypte et l’Italie, qui devaient désormais être reflétés sur la carte. Et je tiens à vous dire, madame Kosioni, que la date d’aujourd’hui a été choisie principalement parce que c’est aujourd’hui aussi qu’a été publié le procès-verbal du Conseil d’État, visant à intégrer l’accord gréco-italien dans l’ordre juridique grec.
C’est pourquoi cela ne pouvait, de toute façon, pas se faire plus tôt. Mais je souhaite ajouter ceci, que je crois très important : depuis 2019, le gouvernement de la Nouvelle Démocratie a conclu l’accord avec l’Égypte, celui avec l’Italie, une série d’accords stratégiques ; il a étendu les eaux territoriales de la Grèce à 12 milles marins jusqu’au cap Ténare.
J’aurais espéré un peu plus de retenue. Car même aujourd’hui, la Grèce veille, sur le terrain, à défendre ses intérêts nationaux : en attirant de grands groupes énergétiques dans des zones où il existe des litiges avec d’autres États, ou encore, aujourd’hui, avec ce Plan d’Aménagement Maritime.

JOURNALISTE : Cette initiative répond-elle aussi aux inquiétudes de certains de vos cadres, Monsieur le Ministre, qui parlent de concessions en mer Égée ? Je vais poser la question ouvertement, en évoquant ici aussi la personne de M. Samaras.

G. GERAPETRITIS : Je pense avoir été clair. Le gouvernement grec, au cours des cinq dernières années, a accompli des choses qu’aucun autre gouvernement grec de la période de la transition démocratique n’a réalisées. De grands accords stratégiques, des accords de délimitation de Zones Économiques Exclusives, l’extension des eaux territoriales, et aujourd’hui, la planification spatiale maritime. Et tout cela, sans qu’aucune concession n’ait été faite. L’empreinte diplomatique de la Grèce — un pays appartenant au noyau dur de l’Union européenne, membre du Conseil de sécurité, actif au sein de toutes les grandes organisations internationales — est aujourd’hui plus forte que jamais.

JOURNALISTE : Alors, Monsieur le Ministre, où cela nous mène-t-il par rapport à un autre dossier ouvert, celui de la pose du câble sous-marin ? Certains disent que ce communiqué est lié au retard pris pour enfin immerger ce câble.

G. GERAPETRITIS : Les deux sujets ne sont absolument pas liés.
Il est évident qu’en termes d’échelle, la planification spatiale maritime est un projet de longue haleine, un grand effort qui, en réalité, étend considérablement notre empreinte diplomatique.
Le projet de connexion électrique entre la Grèce et Chypre est également important. Il s’agit d’un projet d’intérêt commun. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, ce projet se poursuivra au moment opportun, selon le calendrier de l’entreprise adjudicataire.

JOURNALISTE : Pourquoi ne donnez-vous pas de calendrier ? Est-ce pour des raisons techniques ou y a-t-il une certaine hésitation fondée sur des éléments en coulisses que nous ignorons ?

G. GERAPETRITIS : Il n’y a absolument rien qui se joue en coulisses.

JOURNALISTE : Y a-t-il de l’ambivalence ?

G. GERAPETRITIS : Il n’y a pas d’ambivalence. Ce qu’il y a, c’est toujours un calendrier opportun. Certains sujets sont purement techniques. Vous savez, l’étude pour l’immersion du câble électrique dans ce projet spécifique prendra environ six mois. Vous comprenez donc que ne serait-ce que pour organiser la planification spatiale en lien avec les NAVTEX à émettre, c’est un projet complexe en soi. Mais il y a aussi le moment approprié. Je veux être totalement honnête. Pour nous, aujourd’hui est une journée très importante. La Grèce, pour la première fois, dispose de cartes qui reflètent concrètement sa zone économique exclusive potentielle, son plateau continental potentiel, ce qui a une valeur considérable. Tous les projets en cours se poursuivront normalement, toujours guidés par l’intérêt national. Le fait que nous soyons actuellement en discussion avec la Türkiye est une volonté de notre part – d’ailleurs, cela a été acté dans la déclaration du ministère turc des Affaires étrangères. Nous souhaitons que le dialogue continue, afin d’éviter toute crise. Cela ne signifie en aucun cas qu’il y aura un quelconque recul. Bien au contraire, nous prouvons concrètement que l’intérêt national est notre seule voie.

JOURNALISTE : Donc, si je comprends bien, le calendrier dont vous parlez est lié à la poursuite du dialogue gréco-turc ?

G. GERAPETRITIS : Nous souhaitons que le dialogue gréco-turc se poursuive. Je suis clair là-dessus. Les relations de bon voisinage sont la pierre angulaire de la politique étrangère grecque. Nous ne souhaitons pas entretenir de relations hostiles avec aucun de nos voisins. Nous avons fourni beaucoup d’efforts à cet égard.

JOURNALISTE : Est-ce à dire que nous craignons une réaction turque ? C’est une question directe que je vous pose. Parce que si nous avons ce genre d’hésitations, certains diront : qu’en est-il de nos droits souverains ?

G. GERAPETRITIS : Il n'y a aucune hésitation. La Grèce ne se laisse pas définir par rapport aux autres. Il n'est pas question de déterminer notre politique étrangère en fonction des souhaits ou des perceptions d'un autre pays. Nous déterminons notre politique étrangère seuls. Et permettez-moi de dire que, au cours des six dernières années, cette politique étrangère a produit les meilleurs résultats à tous les niveaux. Il en sera de même en ce qui concerne la mise en œuvre de nos droits souverains en pratique.

JOURNALISTE : Je reviendrai un peu sur le plan de l’aménagement spatial. Nous disons que c’est le maximum de nos droits dans la région. Les Turcs, de leur côté, disent que c'est le leur. Ils ont divisé la mer Égée en deux, comme nous l’avons mentionné plus tôt. La position des États-Unis nous préoccupe-t-elle à ce moment donné ? Je le dis parce que nous avons vu M. Trump ne pas hésiter, même devant son plus proche allié politique, Netanyahu, à faire l'éloge de Recep Tayyip Erdogan.

G. GERAPETRITIS : Je veux vous dire, et je le dis avec une sincérité absolue, qu'en ce qui concerne la délimitation des zones maritimes, les États-Unis n'ont pas voix au chapitre. C'est une question qui concerne uniquement les pays ayant des côtes opposées ou adjacentes. La Grèce fait en ce moment une déclaration sérieuse. Pour la première fois dans l'histoire grecque, la position concernant son potentiel plateau continentale est enregistrée. Nous sommes très clairs sur le fait que les îles grecques ont une pleine influence. C'est désormais un acquis européen. Cela a une très grande importance. Nous n'avons peur d'aucune intervention étrangère. Il y a une voie, et ce n'est pas l'intervention d'un quelconque troisième pays.

JOURNALISTE : Il n’y a pas de doute qu’aucun troisième pays n’a de voix au chapitre, mais il y a des interventions. Et l’un de ces pays est les États-Unis d’Amérique. Qu’entends-je par-là ? Il y avait autrefois cette conviction qu’en cas d’incident grave dans l’Égée, suite à une décision ou une action de notre part, voire un incident arrivant même de nulle part, quelqu'un allait répondre au téléphone de l'autre côté de l'Atlantique. Et d'une manière ou d'une autre, il y aurait eu une intervention pour apaiser la situation. Avons-nous aujourd'hui la même certitude ?

G. GERAPETRITIS : Permettez-moi de dire que la désescalade de tensions éventuelles ne doit pas être attribuée à des tiers, mais aux parties directement concernées. Au cours des deux dernières années, nous avons développé des canaux de communication avec la partie turque, directement avec le ministère des Affaires étrangères turc, afin d'éviter la création de crises à partir des tensions. Il y a eu des tensions, mais aucune crise. Et je pense que la politique la plus juste concernant cette relation que nous recherchons, une relation de paix dans notre région, est une seule : avoir des canaux de communication directs, ne pas produire de crises, respecter les positions de l'autre partie et, bien sûr, suivre le chemin du droit international. Peut-être que dans le passé, dans un autre contexte géopolitique, l’influence américaine était assez forte. Aujourd’hui, il y a une seule voie. Si nous le souhaitons, il existe la voie de la juridiction internationale, qui pourrait résoudre ces questions. La Grèce est partie à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, et pour cette raison, notre position est très claire.

JOURNALISTE : Diplomatique, comme se veut votre réponse.

G. GERAPETRITIS : Elle n’était pas. Permettez-moi de dire que c’était une réponse très sage dans le sens où nous préférons avoir des canaux directs plutôt que d'être déterminés par des tiers. C’est le premier point. Deuxièmement, la Grèce détermine, pour la première fois, de manière spécifique, non pas au niveau national, mais au niveau européen, quelles sont les limites potentielles de son plateau continental. Nous appelons donc, en tout cas, si quelqu'un estime respecter le droit international, à se ranger du côté du droit international. Il existe toujours la solution de la juridiction internationale, qui pourrait offrir une issue. En tout cas, je veux être clair. Pour nous, il est important de créer un voisinage qui soit un voisinage de paix et de prospérité. Cela ne signifie cependant jamais qu'il y aura une quelconque concession concernant l'exercice de nos droits.

JOURNALISTE : Une dernière question, M. Gerapetritis, parce que beaucoup de choses sont dites et beaucoup de rumeurs circulent. Sommes-nous tous sur la même ligne ici ?

G. GERAPETRITIS : La ligne de la politique étrangère est déterminée, madame Kosioni, par le Premier ministre et le Conseil national de sécurité et de défense (KYSEA). Ce n'est pas une politique étrangère qui est tracée par le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Affaires étrangères n’agit pas de manière autonome. Il dirige la diplomatie grecque, mais en réalité il exécute le cadre plus large de notre politique étrangère. Il y a une ligne, définie par le Premier ministre et le KYSEA, et cette ligne est très claire. Nous élargissons notre empreinte diplomatique, nous faisons grandir la Grèce, nous voulons des relations de bon voisinage. Aucune concession concernant nos intérêts nationaux. Nous sommes ici pour servir non seulement le présent, mais aussi l'avenir. Et si quelqu’un regarde les réalisations des six dernières années, je pense qu’il comprendra mieux que quiconque ce que signifie concrètement une politique étrangère active pour l’intérêt de la nation.

JOURNALISTE : Je vous remercie beaucoup, M. Gerapetritis. Je vous souhaite de bonnes Pâques.

G. GERAPETRITIS : À vous aussi, je vous souhaite le meilleur.

Avril 16, 2025